Tous les indépendantistes québécois prennent fait et cause pour l’indépendance de la Catalogne, à tel point que l’on a parfois l’impression qu’ils vivent ce débat par procuration. Cette identification au premier degré est dangereuse pour le Québec. En effet, advenant une troisième ronde référendaire sur les rives du Saint-Laurent et une victoire du OUI, le nouvel État se retrouverait devant la nécessité de voir son indépendance reconnue et il est admis dans les cercles indépendantistes que le premier pays à le faire serait la France. Le lien historique et l’origine commune rendent cette hypothèse crédible. Si la France ne reconnaissait pas le Québec, qui le ferait?
Le risque de la France

Or, la France joue gros en Catalogne. Une fois la Catalogne indépendante, elle exercerait une influence considérable sur la Catalogne française – le Roussillon composé de Perpignan et son arrière-pays. Cette influence se fait déjà sentir dans les milieux intellectuels, les noms des rues ont été bilinguisés à Perpignan, lors des dernières élections législatives, la force politique régionaliste « Oui au Pays Catalan » a recueilli entre 3,5 et 4% des suffrages. Pour l’heure, les revendications tournent autour d’un statut d’autonomie, mais advenant l’indépendance de la Catalogne espagnole, il est probable que la dynamique ainsi créée aurait des répercussions au nord de la frontière franco-espagnole.
La France a déjà forte affaire avec la Corse qui a souvent été déchirée par des mouvements violents et qui doit accéder à un nouveau statut d’autonomie le 1er janvier 2018. À cette date, sera instituée une collectivité unique dite de Corse qui fusionnera la collectivité territoriale actuelle et les conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. La future collectivité de Corse est plus ou moins bien acceptée par les nationalistes dans la mesure où ils y voient une étape sur la route vers l’indépendance. La France ne voudrait pas voir se reproduire un scénario comparable dans le Roussillon avec un danger additionnel – le rattachement de la région avec un nouvel État de Catalogne.
Le chaos européen
Si la France est concernée directement par l’indépendance de la Catalogne, les autres pays européens suivent avec non moins d’inquiétude le processus entamé par la Généralité de Catalogne. La Grande-Bretagne vit sous la menace d’un deuxième référendum déclenché par le Parti national écossais actuellement au pouvoir à Édimbourg, l’Italie a ses propres indépendantistes réunis dans la Ligue du Nord, la Belgique est remise en question par le mouvement flamand, pour l’heure divisé entre extrémistes du Vlaams Belang et nationalistes démocrates de la Nieuw-Vlaamse Alliantie. Aucun pays européen ne voudrait voir triompher en Catalogne un nationalisme linguistique et régionaliste par crainte de l’effet d’entrainement.
Le morcellement de l’Europe en fonction des frontières linguistiques ou régionaliste entrainerait le chaos à très court terme. Que ferait-on de la Suisse qui a trois langues officielles : faudrait-il faire éclater ce pays entre une Suisse romande, une Suisse alémanique et une Suisse italienne? Sans compter que les vallées de langue romanche du canton des Grisons seraient en droit de réclamer leur propre statut – la langue romanche est après tout la langue parlée la plus proche du latin, ce qui justifie bien qu’on lui aménage un espace national distinct…
Il est impensable de dynamiter tous les pays européens en fonction des communautés qui les composent. Voilà pourquoi, le mouvement catalan ne soulève aucune sympathie dans le reste de l’Europe. En cas de proclamation unilatérale d’indépendance de Barcelone, aucun pays ne reconnaîtra le nouvel État qui demeurera une anomalie juridique, au même titre que Taïwan, la Palestine ou le Kosovo – encore ces pays bénéficient-ils de l’appui de « parrains » puissants. Impossible dans ces conditions pour la Catalogne de prétendre à un siège aux Nations unies et dans les organismes internationaux spécialisés.
La faute stratégique des indépendantistes québécois
Ce contexte semble échapper aux indépendantistes québécois. En associant leur cause aux aléas de l’indépendance catalane, ils se coupent de tout appui en Europe et d’abord en France. Leur réaction épidermique – indépendance de la Catalogne = indépendance du Québec – menace de leur aliéner le capital de sympathie des pays dont eux-mêmes auront à solliciter l’appui advenant leur accession à l’indépendance. L’appui de la France et la neutralité des autres pays européens sont vitaux pour l’indépendance du Québec.
En fait, les événements en cours en Catalogne ont déjà porté un coup dur à la souveraineté du Québec. N’en doutons pas, le parallèle entre le danger de la résurgence des nationalismes régionaux européens et l’indépendance du Québec a été établi dans les lieux de pouvoir. En ajoutant leurs manifestations bruyantes de solidarité à ce qui n’était qu’un rapprochement théorique, les indépendantistes québécois font en sorte que l’Europe sache bien que le Québec libre est associé à leur pire ennemi.
Cet amateurisme géopolitique est d’autant plus malvenu qu’il n’existe pas grand-chose qui rapproche le nationalisme catalan du nationalisme québécois. La Catalogne fait partie de l’Espagne au même titre que toutes les autres provinces espagnoles – à la suite d’arrangements dynastiques complexes et maintes fois modifiés. La prise de Barcelone en 1714 par les forces franco-espagnoles dont les Catalans ont fait leur fête « nationale » (Diada Nacional de Catalunya) ne marque pas l’occupation d’une Catalogne libre par un oppresseur étranger, mais la conclusion d’une querelle entre la maison des Bourbons d’Espagne et celle des Habsbourg d’Autriche.
Rien à voir avec la Conquête de la Nouvelle-France par la Grande-Bretagne qui marque la soumission brutale d’un peuple par un autre peuple. Du jour au lendemain, toutes les relations administratives, militaires, commerciales et autres ont été coupées entre le Canada et la France. Du jour au lendemain, toutes les positions de pouvoir ont été accaparées par les nouveaux maîtres. La sagesse voudrait que les indépendantistes québécois distinguent leur idéal de la politique taciturne menée par la Généralité de Catalogne.
Il règne à Barcelone une opiniâtreté et un fanatisme froid qui n’a rien à voir avec l’ouverture qui a toujours présidé au nationalisme québécois sous René Lévesque et ses successeurs. Le Québec a toujours traité sa minorité anglo-canadienne avec la plus grande courtoisie et respecté ses institutions traditionnelles (commissions scolaires, universités, hôpitaux, etc.). Au plus fort des deux campagnes référendaires, il ne venait à l’idée de personne de traiter les fédéralistes de « fascistes ». C’est à cet héritage historique et démocratique que doivent se référer les leaders indépendantistes au lieu de se mettre à la remorque d’une cause étrangère, sans légitimité historique et animée par un extrémisme fermé sur le reste du monde.